Dès les premiers mots, Aïko Solovkine nous happe et nous entraîne dans cette chute vertigineuse. Dès les premières pages, on sent et on sait qu’on n’en sortira pas indemne.

Être chasseur ou gibier. Tout est affaire de choix et d’opportunité. Eux ont tranché et de cet avantage, découle leur position. (…) Gauche. Droite. Accélération. Concentration. Épuiser la proie. La laisser filer et l’encercler plus tard, plus loin. Ensuite s’amuser et que chacun y trouve son plaisir avant d’à nouveau disparaître dans la nuit. Trois petits tours et puis s’en vont car ainsi font les vilains garçons.
Rodéo, l’histoire
Rodéo décrit la Noirceur : noirceur du paysage, noirceur des âmes. Il décrit ces contrées laissées pour compte, où l’économie fuit et où seule reste la Buvette et ses matchs de foot. Intemporelle, elle accueille en son sein des générations qui se succèdent, hommes et femmes aux ambitions flétries dont les coudes plantés dans le comptoir se lèvent au rythme des conversations qui refont le monde. Dehors, leur progéniture dégénérée s’enlise sinistrement dans la merde. Gangrenant lentement la région, leurs petits bâtards font de la route leur terrain de jeu. Moteur vrombissant, pétard aux lèvres, poing levé et sexe fier, ils peaufinent leurs jeux funestes.
Pas vraiment de mauvais gars. Pas de bons gars non plus. Juste des gars d’ici, des gars de chez nous. Rusés à des degrés variables mais globalement pas bien malins. Prolos, bourrins, de la raclure de province, blanche et bas de gamme, comme on en produit à échelle industrielle dans la région.
Et puis dans tout cela, il y a Baby. Élevée aux concours de mini-miss, inscrite à des cours de diction, elle comprend rapidement que son corps, au service de sa cervelle, a un pouvoir qui fera d’elle une reine. Elle représente la tentation ultime, ce petit bonbon sucré qu’il leur tarde de croquer. Une lumière, trop vive, bientôt happée par l’obscurité.
Mon avis sur ce livre
Rodéo est un de ces romans qui se vit et se ressent. À la fois proche et lointain de mon univers, il m’a oppressée et presque salie à chaque page tournée. Rodéo raconte l’immobilisme d’une région en suspens, qui n’attend plus rien, dépossédée de tout. Univers sordide, vie consumée laissant en bouche un goût de terre et d’âpreté des choses. Un roman pourtant empreint d’une grande lucidité, critique sociale d’un monde de violence et de domination.
Si j’ai eu un peu de mal à enchaîner les pages, c’est parce qu’on connaît dès le départ la tragédie qui se joue sous nos yeux. Lecteur impuissant, on ne peut qu’assister à la fange qui engloutit quiconque prend le risque d’y mettre un pied. Ce roman n’est pas sans rappeler « L’été des charognes », de Simon Johannin, que j’ai chroniqué ici il y a quelque temps. Même noirceur, même réalité. Constat étonnant qu’en 2019-2020 deux auteurs décrivent une Belgique-France profonde avec sensiblement les mêmes mots-maux. J’en profite également pour souligner la qualité de la postface de Laurence Boudart qui apporte un regard éclairé et éclairant sur la construction et le style de ce roman.
En résumé, le début de ce livre noir et trash m’a déstabilisée. J’ai tenu malgré tout à continuer ma lecture pour finalement l’apprécier à sa juste mesure. Un roman bon plus que beau, pour lecteur averti cependant.
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