« La race des orphelins » est un roman percutant sur les enfants issus des Lebensborn, ces élevages d’enfants au profit d’une race supérieure dans l’Allemagne nazie. Avec Hildegard Müller, on plonge au cœur d’une partie de l’Histoire dont on entend finalement assez peu parler.

La race des orphelins – Oscar Lalo

La race des orphelins, l’histoire

Mon corps n’a pas de voix. Il a tout vécu mais je n’y ai pas accès. Mon corps me sait mais mon corps se tait. Lui aussi me traite comme une enfant. Toutes ces choses qu’il ne dit pas devant moi. Il les dit quand je dors. Parfois, ça me réveille. Alors, il fait semblant de dormir. Et je reste coincée dans ce rêve muet.

Dans « La race des orphelins », Hildegard Müller fait appel à un scribe pour raconter sa vie. À 76 ans, celle qui devait être « la gloire de l’humanité » sait à peine lire et écrire. Alors que son désir le plus cher est de s’humaniser, Hildegard entretient un rapport clinique avec celui qui l’enfantera, son Scribe suisse qu’elle appelle « son SS » : « J’ai besoin qu’il soit un monstre froid. Une machine. J’appuie sur PLAY et sa main bouge. Un piano mécanique. Sans musique. Un piano à mots. Je mélodise. Il harmonise. Il accompagne mon filet de voix. Il me fait résonner. »

Sa seule certitude est celle d’être née dans un Lebensborn, une usine à bébés construisant de futurs parfaits Aryens. Elle ne sait rien de sa date de naissance, ni de son vrai nom, ni de ses parents. Les nazis l’ont ainsi démise une première fois de son identité. La seconde, c’est quand ils ont brûlé tous les documents concernant les Lebensborn à la fin de la guerre. Or ne pas avoir d’identité, c’est être sans être. C’est non-exister. Comment dès lors se construire sur ce terreau infertile et lorsque qu’on naît coupable ? Car aux yeux de tous, ces orphelins sont les enfants de la honte : l’Allemagne s’en cache. Les Alliés méprisent ces êtres nés sans amour, destinés à être de purs produits de guerre. Dès leurs premiers jours, considérés comme bourreaux alors qu’ils sont victimes.

On avait droit aux meilleurs soins. Les meilleurs soins selon Himmler, c’est une infirmière après qu’on nous a arraché notre mère. Un plat protéiné dont il composait lui-même le menu. L’industrialisation de notre éducation. La rationalisation de cette industrie du bébé parfait. De l’amour mesurable, quantifiable, identifiable. Un amour théorique. Un oxymore.

Cette malédiction hantera Hildegard toute sa vie. Si elle a fait le choix d’essayer de vivre, beaucoup n’ont pas eu cette force. Qu’est-ce que mourir, finalement, pour des nés-morts ? En faisant appel à un scribe, elle tentera de mettre des mots sur ses maux et d’écrire cette non-vie. Pour laisser une trace. Pour s’inscrire, d’une manière ou d’une autre, dans la réalité. Pour que ses enfants comprennent et qu’ils sachent. Commence alors un long processus où Hildegard tentera de retracer son parcours avec l’aide de celui qui l’écrit. Un long combat, aussi étouffant pour l’un que pour l’autre, qui s’efforcera d’amener un peu de lumière à une enfance qu’elle n’a pas eue et dont elle n’est pourtant pas sortie, « nuage de cendres qui cache le soleil ».

Mon avis sur ce livre

Le livre « La race des orphelins » dresse le portrait d’une femme qui, toute sa vie, à chercher à être et à naître. Hildegard, personnage fort et fictif, tente de mettre sa vie en mots afin de raconter l’histoire d’une génération d’orphelins frappés dès leur naissance « du sceau de la trahison ». De sa prose superbe, Oscar Lalo nous raconte l’horreur à travers de courts textes percutants. Une mise en lumière de ce pan de la Guerre, aussi intéressante que bouleversante.